Rencontre
avec Geneviève Jacques, Présidente de la Cimade
Propos recueillis par Jérôme Citron, CFDT- magazine
Présidente de la Cimade*, Geneviève Jacques dénonce le traitement réservé
aux personnes étrangères en France. De Calais à la frontière italienne en
passant par les grands centres urbains, les migrants subissent une politique de
plus en plus répressive. «Du jamais vu depuis de nombreuses années », alerte
cette militante chevronnée.
Comment résumer la Cimade en
quelques mots?
La Cimade
est une association qui, depuis plus de soixante-quinze ans, accompagne les
personnes étrangères partout en France, afin de garantir le respect de leurs
droits. Aujourd’hui, nous sommes 2500 bénévoles et une centaine de salariés à
remplir cette mission au quotidien afin que les personnes réfugiées ou
migrantes qui se trouvent dans l’Hexagone soient traitées dignement et que les
lois et les principes de la République s’appliquent sans entrave. Pour cela,
nous avons des antennes sur tout le territoire avec des personnes formées à
l’écoute et au conseil pour l’accès aux droits. Notre caractéristique est de
nous appuyer sur une éthique et des convictions très solides, alliée à une
forte exigence quant à la qualité du travail mené sur le terrain.
Depuis plusieurs mois, vous dénoncez la politique menée par
l’État français avec des mots très durs. Que s’est-il passé?
Tout d’abord, la Cimade n’est pas la seule organisation à dénoncer la
politique qui est aujourd’hui menée en direction des personnes étrangères. Ce
n’est pas une posture idéologique de notre part, mais un constat qui s’appuie
sur des faits. Depuis l’été 2017, l’ensemble des associations sur le terrain
observe une aggravation des brutalités dans le traitement de ces personnes
comme nous n’en avions pas vu depuis des années.
À Calais, nous avons dû
aller jusqu’au Conseil d’Etat pour obliger la préfecture et la mairie à
installer des points d’eau afin que les migrants puissent au moins boire et
prendre une douche. Sous prétexte de ne pas créer des «points de fixation », les forces de l’ordre harcèlent les associations qui tentent de
répondre aux besoins humanitaires les plus urgents. Dans les Alpes, les
migrants qui sont arrêtés en territoire français sont refoulés en Italie avant
de pouvoir déposer une demande d’asile, dans la plus grande irrégularité. Même
les mineurs ne sont plus pris en charge, comme l’exige pourtant la loi
française. Et dans les grandes villes, des milliers d’exilés du Soudan, d’Èrythrée ou d’Afghanistan sont condamnés à l’errance, sans
droit de demander l’asile en France au prétexte qu’ils sont déjà passés dans un
autre pays européen. L’administration applique avec un zèle stupéfiant
l’injuste règlement Dublin III, qui impose aux demandeurs d’asile de faire leur
demande et séjourner dans le premier pays européen où ils ont déposé leurs
empreintes.
Pour la Cimade, la France est en train de franchir une ligne rouge.
Il y a des droits humains fondamentaux qui doivent être respectés, quelle que
soit la situation administrative des personnes.
C’est dans ce contexte déjà tendu que vous avez
vigoureusement protesté contre le contenu du projet de loi sur l’asile et
l’immigration présenté aux associations en début d’année.
Ce projet de loi comporte
quelques avancées et beaucoup de reculs. Concernant l’asile, il y a des mesures
sur l’insertion des personnes reconnues comme réfugiées qui vont dans le bon
sens. Il y a par exemple une augmentation des cours de langues et un meilleur accompagnement
sur toutes les questions liées à l’hébergement. Mais cela ne peut cacher la
gravité du recul des droits pour la très grande majorité des personnes
concernées. Pour les demandeurs d’asile, par exemple, la réduction du délai
pour déposer sa demande, qui passerait de cent vingt à quatre-vingt-dix jours,
va exclure de fait beaucoup de personnes. Ces trente jours en moins ne sont pas
anecdotiques quand on connaît le parcours du combattant pour demander l’asile
en France. Il ne faut jamais perdre de vue qu’il s’agit de personnes qui ne
parlent pas forcément notre langue, fuyant leur pays et qui ont, pour la
plupart, déjà subi des conditions éprouvantes pour arriver jusqu’à nous.
Ce projet de loi est, selon vous, une nouvelle étape dans la
restriction des droits
des étrangers?
Non seulement on constate
une restriction drastique des droits des personnes étrangères, mais aussi une
volonté assumée de durcir les mesures répressives pour contrôler, trier et
expulser les migrants décrétés «
non
accueillables». En cas d’interpellation, la garde à vue passe ainsi de
seize à vingt- quatre heures et la durée maximale de détention dans les centres
de rétention administrative passe de quarante-cinq à quatre-vingt-dix, voire
cent cinq jours. Toutes les personnes travaillant dans les centres de rétention
savent pourtant qu’une dizaine de jours au maximum suffit pour déterminer si
une personne peut être expulsée ou non. Alors que tous les centres sont pleins,
que les conditions de détention se dégradent et que la détention sur une longue
durée n’apporte rien, le gouvernement préfère afficher sa fermeté et promettre
la construction de nouvelles structures. C’est aberrant.
Comment expliquez-vous ce durcissement?
Le « en même temps » de la campagne électorale qui promettait fermeté et humanité n’est plus
crédible face aux conséquences inhumaines de la politique menée concrètement.
Avec son histoire et ses actions sur le terrain, la Cimade
est bien placée pour comprendre toute la complexité et l’importance des enjeux
autour des questions migratoires. Nous sommes même demandeurs d’un vrai débat
de société, mais ce gouvernement ne montre aucun signe d’ouverture. On est
reçus, on nous écoute poliment, mais rien ne bouge. Les responsables politiques
semblent tétanisés par la peur de paraître laxistes
sur la question. Ils se réfugient derrière un discours devenu classique: «L’opinion publique n’est pas prête» et « cela favoriserait la montée de
l’extrême droite». Résultat:
les ministres de l’Intérieur se succèdent en promettant toujours plus de
reconduites à la frontière, toujours plus de fermeté.., sans succès, si ce
n’est de renforcer les courants xénophobes et, surtout, sans prendre à
bras-le-corps les vraies questions.
Quelles seraient les vraies questions à se poser?
La défense du droit
d’asile ne doit pas nous exonérer d’une réflexion plus générale sur la réalité
des mouvements migratoires de notre époque. Les discours qui tentent d’opposer
les «bons» réfugiés, que la France se doit d’accueillir et protéger, à tous les
autres, qualifiés de migrants «économiques», qu’il faudrait s’empresser
d’expulser, sont dangereux. Cette opposition, largement idéologique, ne repose
pas sur la réalité des destins humains qui se jouent: une personne qui a
traversé plusieurs pays et a risqué sa vie en traversant le désert et la Méditerranée
pourra (peut-être) obtenir une protection internationale si elle fuit un pays
en guerre, mais elle sera rejetée et menacée d’expulsion si elle fuit l’absence
de moyens de survie dans son pays pour cause d’accroissement des inégalités
économiques, de régimes faibles ou corrompus, de conséquences des dérèglements
climatiques. On voit bien les limites d’une telle approche. À côté du statut de
réfugié, qui reste essentiel, il est urgent d’inventer un nouveau cadre pour
prendre en compte ces réalités. C’est dans le but de proposer une autre politique
migratoire que nous avons lancé, avec plus de 400 associations et collectifs
citoyens, une démarche pour des États généraux des migrations, qui se tiendront
les 26 et 27 mai 2018.
Comment sortir par le haut de cette situation dramatique?
Nous appelons les
politiques à faire preuve de lucidité, de vérité et de courage pour repenser
une politique migratoire qui soit à la mesure des enjeux actuels. Lucidité face
au caractère inexorable des mobilités humaines dans notre siècle. Vérité sur
les faits, pour sortir des mensonges ou de la désinformation qui nourrissent
les peurs et les fantasmes. Vérité sur les forces de solidarité qui existent
dans notre pays. Courage de défendre les principes qui font tenir notre société
contre toutes les tentations de repli et de rejet des « autres», courage de reconnaître que l’immigration fait partie de notre
histoire et de notre futur.•
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www.lacimade.org